Le vendredi avait bien mal commencé. La journée destinée aux professionnel·les comptait de nombreux absents de dernière minute. Rémy Campos, qui devrait ouvrir la séance par une analyse de la crise en musique, était bloqué à Genève, pour raison ferroviaire. Le conseiller DRAC avait prévenu d’une charge de travail trop importante pour prendre ce temps de rencontres. D’autres ne donnaient pas signe de vie.
En dernière minute, Elsa s’improvise modératrice de la journée — rôle qu’elle tiendra avec brio. Il faut aussi trouver un écran et un vidéo-projecteur pour diffuser la vidéo que Rémy a pu réaliser, pour être présent malgré tout. Rien ne serait impossible pour des raisons techniques ; un détour par Musica-Loire (que je remercie) et dans notre local d’Ambillou suffit à récupérer le nécessaire.
Pendant ce temps-là, d’autres personnalités arrivent et quel bonheur de les avoir à nos côtés : Grégoire Lorieux, Laurence Rougier, David et Elizabeth Sanson, Lucie Prod’homme.
Lucie est une habituée du festival. En 2022, elle était invitée d’honneur et nous avions déjà vécu des moments intenses avec sa musique.
Lucie est désarçonnante, passant de la plus grande fantaisie, foufoulie, à une extrême acuité quand il s’agit de régler les paramètres sonores et l’interprétation de sa musique. Antoine, autre grand furieux, a investi depuis plusieurs mois une pièce qui n’en pas finit pas de connaître des déboires et ne jamais voir sa création.
Là, ce vendredi 26 juillet 2024, dans l’atmosphère sereine de la Chapelle Saint-André, qui a accueilli des siècles et des siècles de pélérins et pélerines, Des Espoirs fait l’effet d’un choc. Une violence inouïe et pourtant traitée avec la plus grande douceur. Une grande lame de fond et de forme qui vous terrasse et vous projette au centre de l’action sans jamais vous piéger. Captiver sans capturer. Le sujet est grave (les migrants qui échouent ou meurent pendant leur traversée). Le ton de l’œuvre est sans concession. La fusion entre la clarinette basse et la diffusion est particulièrement saisissante…. Quelle fierté de donner cette création en première mondiale dans le festival !
[Musique : Lucie Prod’homme, Des espoirs pour clarinette basse et électroacoustique (2024). Création mondiale]
Je pense à ce couple de touristes venu avec leurs deux jeunes enfants assister à Des espoirs et repartir. Quel fut peut-être leur choc ?
Merci Lucie de nous avoir offert cette exclusivité.
Les échanges qui vont suivre pendant la matinée et l’après-midi ont une intensité comparable. Chacun, chacune alimente la conversation, acceptant le jeu de ce salon intime. Des témoignages, des questions, des propositions rythment les séances autour de la question du spectacle vivant aujourd’hui. A panser et/ou penser ?
On finit par oublier les absents.
Louis, lui, n’a pas oublié de passer récupérer la remorque-frigo. Ouf ! Elle sera indispensable pour les journées suivantes…
Ce ne sont pas les cloches qui nous rappellent le temps du déjeuner mais une joyeuse cohorte qui vient frapper à la porte de la Chapelle Saint-André. Le « partage de midi » commence en chansons et nous conduit dans les rues désertes de Neuvy-le-Roi. Les in:entendu·es ne sont pas pour autant invisibles, ni silencieux !
Les résultats du concours de composition sont proclamés ; les lauréat·es chaleureusement fêté·es en chansons. Puis le temps des agapes où l’on apprend à mieux connaître son voisin ou sa voisine.
Il est de coutume au festival de proposer des siestes musicales, qui laissent la part belle aux musiques acousmatiques. Cette année, l’exception confirmera la règle et c’est à une autre digestion artistique que se préparent nos convives…
Le compositeur Grégoire Lorieux, que nous avions déjà accueilli en mai pour Le Grand Frisson, nous fait l’amitié de revenir pour nous « Habiller Habiter en oiseau ».
J’aime ces temps collectifs que partagent tous les présents et présentes au festival. Chaque année, nous laissons une empreinte en résonance avec le monde contemporain. Je remémore le Prélude à l’après-midi a:phone de 2020, le Fête et Fracas de 2021, l’in-nuit de 2022, le Champ du Signe de 2023.
Cette année, l’image sonore que nous représentons de notre environnement sera celui des oiseaux. Le propos de la pièce de Grégoire Lorieux est de sensibiliser à la notion de territoire définis par les chants des oiseaux, mais également d’alerter sur la disparition de certaines espèces, comme le Traquet Rieur.
Répétition donc en vue de l’atelier du lendemain, qui se tiendra en pleine forêt.
Certains se prêtent déjà très sérieusement au jeu…
Traquet rieur ?
Merle chanteur ?
.. quand d’autres ont de très sérieuses occupations (rires).
La table ronde de l’après-midi permet d’accueillir Elise Gilbert, coordinatrice culturelle sur Neuvy-le-Roi, qui porte un regard affuté sur les services culturels à la population en milieu rural.
Pauline (Vanagt la fûtiste) et Yu-Hsuan (Pai la percussionniste) s’emparent ensuite de nos sens, dans la pénombre, pour jouer une œuvre de Lin-Ni Liao. Pas de doute : nous sommes bien dans des musiques inouïes et contemporaines.
L’écoute est quasi religieuse, du latin religio, ce qui attache ou retient, ce qui relie. Faire spectacle autrement.
La « Foi » est une belle invention
Pour les Messieurs qui voient –
Mais en cas d’Urgence, un Microscope
Est plus prudent !— Emily Dickinson
[Musique : Lin-Ni Liao, How Prudent That We Are Blind…II pour flûte, tam-tam, lumières et projection (2019)]
La fin de l’après-midi est consacrée à une synthèse opérée par David Sanson, conseiller artistique à l’Abbaye de Noirlac.
La pièce de Magnus Lindberg — que nous aimons tant avec mes camarades — trouve toute sa pertinence et sa résonance, en plein air, avant le vin d’honneur. Antoine ne lésine pas sur les nuances fortississimo. Spéciale mention pour « l’assistante » (qui a bien pensé à prendre ses bouchons d’oreille).
[Musique : Magnus Lindberg, Ablauf pour clarinette et deux percussionnistes (1983-1988)]
Le pot de l’amitié est généreux. Nadine a encore rivalisé d’inventivité dans ses coloris.
Leçon des éditions précédentes, le temps du repas est lui aussi copieux pour que tout le monde puisse digérer les nourritures spirituelles de la journée…
…qui n’avait pas si bien commencé il est vrai. Mais vite oubliés, dépassés les contretemps !
Le bon déroulé et la bonne humeur des participant·es étaient les ingrédients ad hoc pour une belle intensité à ce vendredi.
Et de sa soirée babélique, je vous parlerai dans le prochain chapitre !