Avec la journée du samedi 27 juillet, nous rentrons dans le cœur du festival, un coeur mobile, plein d’entrain, puisqu’il faudra rejoindre la commune de Channay-sur-Lathan le soir, en partant tôt le matin de Saint-Paterne-Racan.
Cette escapade d’une vingtaine de kilomètres à pied, une vingtaine de marcheurs et marcheuses l’entreprend, en se retrouvant dès huit heures sur le parking de l’Abbaye de la Clarté-Dieu. La vieille bâtisse semble nous attendre depuis des siècles, comme un refuge qu’elle a probablement été pour des centaines de voyageurs.
Je me souviens de cette fébrilité à chaque rendez-vous de départ de marche. Serons-nous une poignée à nous lancer dans l’aventure ? Retrouverons-nous des visages familiers ? Quel·les inconnu·es auront l’audace de venir jusqu’à ce parking pour s’élancer dans la nature, avec comme seule perspective celle de mettre un pas devant l’autre, sur un tracé que tout le monde ignore ?
Finalement une nombreuse équipée se découvre aux abords de l’Abbaye. Gloire à vous dont un des mérites, et pas des moindres, aura été de braver la pluie avec vos vêtements colorés ! C’est dans cette (petite) adversité que n’importe quel chemin à plusieurs devient une route collective pleine d’expérience.
Stéphane Gendron est un compagnon des plus réjouissants à travers la nature du pays de Racan. D’un coup de baguette toponymique, il vous fait vivre des récits passionnants où se mêlent l’histoire locale et celle des gens qui habitaient les hameaux.
Nous comprenons que nous marchons sur les pas de celles et ceux qui ont fait l’histoire des campagnes, absente des manuels alors qu’elle nous parle si bien de notre passé commun. L’évolution de la langue française nous captive tant quand elle raconte ainsi les paysages…
Quelques lieux-dits traversés qui semblent dès lors aussi fantastiques que les contrées de Tolkien : Le Breuil, La Perrée, Chauchy, La Tavinière, La Haute Riderie, Les Corbeaux, Le Carroi des Cinq Chênes…
Alors que nous nous perdons — volontairement sans doute ! — au milieu des vergers mouillés, Stéphane me confiera qu’il a mis la marche de côté depuis de nombreuses années, pour cause de fragilités aux pieds. Je lui manifeste ma surprise qu’il ait accepté ces randonnées avec ce handicap. Il me répond par un sourire, me rassure. J’espère qu’il tiendra bon la journée.
Le revoir le lendemain avec des pieds ragaillardis me fait croire que ces parcours lui auront permis de se réconcilier et de retrouver confiance dans l’extrémité de ses membres inférieurs.
Ils et elles seront plusieurs d’ailleurs à endurer quelques déconvenues sur le parcours. Chaussures mal adaptées. Pieds mouillés. Usure de la marche. Pourtant, nulle plainte dans le cortège. Tous acceptent quelques désagréments, tant nous savourons le prix de cette traversée des champs et des forêts en bonne compagnie.
Chaque étape atteinte apporte son lot de satisfactions : parfois un abri, ici des commodités bien pratiques, là un coin derrière un bosquet. La plus grande joie de ces « Stations des Sens » est de trouver un ou une musicienne de l’ensemble PTYX qui offre une respiration encourageante. Les stagiaires du chant sont également présents et ils ne se feront pas priés pour entonner quelques chansons qui égrennent des coutumes et usages du temps.
Quand en plus l’arrêt se double d’un ravitaillement, nous semblons toucher un petit coin de paradis, même s’il se situe sous le préau des vestiaires d’un stade sportif à Souvigné !
Quittant le bourg de Souvigné, l’expédition se remet en route pour trouver deux kilomètres plus loin un bien curieux attroupement.
Au lieu-dit La Cadorerie, au milieu de clairières clairsemées, de bien drôles d’oiseaux jacassent de concert !
Pauline Vanagt : l’oiseau-flûte
Antoine Moulin : l’oiseau-clarinette
Pauline Dhuisme : l’oiseau-violon
Les marcheurs et marcheuses deviennent public d’une faune musicale surprenante, où les habitants réguliers des lieux semblent converser avec ces corps sonores de passage.
Dans une solennité sans chi-chi, admirable, le compositeur Grégoire Lorieux accueille l’assemblée qui va sitôt devenir interprète de Être Oiseau, jeu sonore et performance musicale pour trois musiciens avec participation du public.
« Je vous fais oiseau-triangle et vous retire le don de parole. »
Je tente une approche fugace dans ce cérémonial tranquille. La légère bruine renforce l’atmosphère féérique du moment. Les longues fougères absorbent même les bruits de pas.
Des contingences logistiques m’obligent à repartir aussi vite que je suis arrivé. Demandez à d’autres que moi de vous raconter ce jeu au milieu de nulle part, qui n’existait que pour les privilégié·es de l’instant.
Un temps entre parenthèses où était palpable une solidarité pour sauver les espèces en voie de disparition : le traquet rieur et… la musique contemporaine ?
En fin d’après-midi, les randonneurs atteignent le bourg de Courcelles-de-Touraine. Un bel attroupement les y attend, additionnant pêle-mêle des gens du cru, des spectateurs venus pour la soirée, une partie du staff du festival. La musique suave de Markus Stockhausen résonne sans complexe dans cette place publique, sous les doigts de Christophe Rostang et Yu-Hsuan Pai.
D’un accord commun, l’heure tardive et la fatigue dans les jambes sonnent la fin de la balade marchée. Il faut savoir s’arrêter au terme d’une promenade si riche.
D’un coup de voitures, tout le monde traverse les quelques kilomètres séparant Courcelles-de-Touraine et Channay-sur-Lathan.
Là-bas, depuis deux heures, des bénévoles s’activent pour transformer un lieu paisible en un petit village de festival. Le camion de Batta Pizza est dans la place. Magali et la caravane de l’Espace Social de Vie Itinérant aussi.
La décision a été prise de ne pas investir pour la soirée le site de la Carrière-Musée de Faluns. Trop de pluie et des soucis de générateur électrique nous sonnent un rapatriement vers la salle des fêtes et son parc attenant. L’endroit se révèlera très adapté, champêtre à souhait, et la soirée sous les étoiles, un vrai délice. Car oui, les nuages laisseront enfin place au soleil sur les coups de vingt-et-une heure.
Nous ne pouvons pas nous empêcher de faire le détour par la carrière. Quelques chants bien à-propos, une petite ronde, et hop le tour est joué.
J’aimerais citer les noms de toutes les personnes qui ont œuvré dans ce jour vraiment dingue. Une épopée où la Marche en Poésie est devenue un Road-Movie en Safari. Chaque minute s’inscrit comme un fort souvenir. Merci à toutes ces énergies déployées.
…. Et le festival était loin d’être fini !
A suivre : la journée du dimanche, elle aussi anthologique où vous saurez, entre autres, si cette jeune femme insouciante a survécu à l’attaque du terrible MEGALODON !!!